Mon amoureuse,
Il y a longtemps que je n’ai plus aimé ainsi.
Tu m’as comme sorti d’une casse automobile.
Tu fais de nouveau battre mon cœur.
Je vais d’ailleurs demander à mon chirurgien de me retirer mon pacemaker.
Maintenant que je t’ai toi, plus besoin de stimulateur cardiaque.
Je ris rien que d’imaginer la tête de mes enfants quand je vais leur annoncer.
Je ris tout court depuis que je suis avec toi.
J’avais oublié cette sensation de se sentir aimé.
Je suis vivant.
Ton amoureux, Paul.
Cette lettre a été retrouvée dans une chambre d’Ehpad. Paul parlait souvent de casse automobile pour évoquer la situation des vieilles et vieux en fin de vie. Et il arrive que ces cimetières mécaniques recèlent une beauté insoupçonnable. On y trouve des carcasses désossées, vestiges plus ou moins glorieux, des trésors parfois, et plus qu’un patrimoine industriel, on y découvre un patrimoine immatériel au-delà des corps métalliques, des histoires de vie brisées ou de vie rêvées, des histoires à raconter.
Par la magie de soignant·es / mécanicien·nes ingénieux·ses, ces morceaux de mécanique retrouvent une deuxième vie, véhiculant des corps restaurés avec soin, palimpsestes modernes trimballant nos ancêtres. Et comme par enchantement, l’art peut redonner vie à ces mouroirs pour en faire des espaces vivants de mémoire et de désir.
C’est ainsi que pourraient être les Ehpad, des lieux de beauté et d’inventivité joyeuses où se croisent des bricoleurs de la vie, qui redonnent un dernier souffle, assemblant des rotules (de R5 ou d’anciens ouvriers) et des pare-chocs d’estafettes, comme autant de prothèses pour finir en beauté le chemin ultime.
Venez, poussez la porte, vous trouverez dans cette Maison Paisible de quoi vous rassurer sur l’avenir de l’humanité. Venez rencontrer celles et ceux qui y travaillent et celles et ceux qui y vivent, et imaginer avec nous le Centre d’Art ou l’Ehpad du futur.
— Mohamed El Khatib, commissaire artistique
Vidéo promotionnelle d’une technique en voie de disparition, boucle, 12 minutes
La mise en plis, longtemps reine des salons, n’est plus enseignée, presque plus pratiquée. Considérée comme datée, reléguée au rang d’archétype rétro, elle reste pourtant adaptée aux réalités du grand âge avec une tenue durable et un maintien garanti. Même si la mise en plis donne de la forme à ce que le temps fragilise, il est à craindre que ses dernières boucles s’en aillent bel et bien avec cette génération. À moins qu’Aimée, résidente de la Maison Paisible, qui aurait volontiers choisi la coiffure plutôt que la couture, ne constitue la relève ; elle qui reste là, des heures durant, à observer Marianne à travers la vitre.
Avec les tableaux de Benoit Bonnemaison-Fitte dit Bonnefrite, Lucas Compagnoni et ceux de Rénée Grasso, Yvonne Pasqual, Nelly Nitard, Josette Christol, Aline Zabala, Éliane, Monique Alric, Marcelle Hommage, Josette Clément, Mme Broussier, Michel Jacques, Mireille Ferrier, Christian Santiago, Aimée Gauthier, Nicole Gillio.
Avec Mireille Ferrier
Avec les résident·es de la Maison Paisible
Assemblage : bois, plexiglas, ciment, faux ongles
Et si les nails bars étaient les nouveaux salons de solidarités et de résistance entre femmes ? Nina Boughanim transforme le hall de l’Ehpad en lieu de beauté et de liens. Chaque création est unique et personnelle. Le design des ongles de Nénette reprend les teintes et les motifs de la fleur en crépon offerte à l’artiste. Les ongles bleus de Mimi font écho aux rivières et aux souvenirs partagés autour de l’eau.
Série Polaroid couleur extrait de l’édition Confabulation fantastique de la Maison Paisible. Photographies qui retracent les déambulations de l’artiste dans l’Ehpad.
Fragments de récits vrais et faux agencés en trois parties : l’eau, l’écoute et le soin du corps. Avec les voix de Nénette, Nanard, Mireille, Juliette, Aline, Marianne.
La confabulation est un trouble qui proviendrait d’une lésion ou d’une déconnexion du cortex orbito-frontal. Cela entrainerait le fait de vivre dans une réalité décalée et de se souvenir d’événements qui n’ont jamais eu lieu.
Voix : Eléonore Cousin
Son et montage : Jules Cousin
Sculpture (ciment, polystyrène, pièces de monnaie, eau, porcelaine, acier, bois), 276 × 70 × 18 cm
Ce bassin en ciment accueille les gestes des visiteur·euses, invité·es à y jeter une pièce et à formuler un vœu. L’eau s’y évapore lentement, puis est versée à nouveau à l’aide d’une jarre, dans un cycle de recommencement, de soin, du temps qui passe sans jamais s’arrêter tout à fait. Suspendue au-dessus du bassin, une chaîne en porcelaine rappelle les chaînes de pluie japonaises (kusari doi), ici pour supposer que le bassin récolte l’eau de la pluie. Ce bassin propose une écoute : celle du silence, des fluides, de ce qui circule entre les corps et les lieux.
Papiers découpés, cartes postales, matières organiques
122 × 111 cm
Poster réalisé en collaboration avec Aline Zabala, Mireille Ferrier, Monique Alric et Juliette Fanton, sous la supervision artistique de Jeanne Mesa et Pierre Perrin. Il annonce la renaissance prochaine de la roseraie, prévue quelques semaines plus tard.
Promenade poétique et sensorielle
À l’origine de la Maison Paisible, une roseraie occupait une place centrale dans le parc. Jean-Claude Fernandez, ancien agent de maintenance puis résident aujourd’hui disparu, évoquait avec tendresse les bouquets de roses fraîchement coupées qui embellissaient chaque jour les tables du hall.
Mimosa Echard propose une réactivation poétique de cet espace en replantant des variétés choisies. Elle détourne les cartels botaniques en supports narratifs et elle invite à une promenade sensorielle et mémorielle. Inspirée par La Reine des neiges de Hans Christian Andersen, où les roses communiquent avec l’invisible à travers leurs racines, elle imagine la roseraie comme un seuil entre le monde des vivants et celui des morts.
Réalisée avec l’aide de Sébastien Carré, Guy Cortes et Yiyun Mai. Avec le soutien de l’Abbaye de Valsaintes.
À la manière des messages lumineux qui défilent dans les couloirs de l’Ehpad, une phrase ininterrompue s’inscrit ici, composée des refrains de chansons recueillis auprès des résident·es. Évoquant tour à tour des souvenirs intimes et des espoirs, ces mots dessinent une mémoire collective autour de l’amour, la musique et la danse.
Collaboration artistique : Céline Peychet
Design graphique et peinture en lettres : Tiphaine Buhot-Launay
Ce jeu naît de la rencontre entre l’artiste plasticienne Juliette George interpelée par l’odeur caractéristique des Ehpad et de l’artiste-parfumeur Daniel Pescio intéressé par l’usage à la fois thérapeutique et sensible des fragrances. La première récolte des souvenirs olfactifs auprès des habitant·es de la Maison Paisible que le second reproduit. L’objet a été pensé comme un jeu, un espace de sociabilité potentiel, mais aussi comme un conservatoire de ces mémoires.
Règle du jeu : libre
Avec la participation olfactive de Jean-Claude Fernandez,
Aline Zabala, Marcelle Galléa, Monique de Loye, Mireille Ferrier, Bernard Rousselle, Monique Alric, Rollande Benoit, Mireille Bosqui, Pierre Perrin, Paulette Nousier, Pierrette Vera, Ingeborg Krencker, Martine Di Maio, Juliette Fanton, Marie-Thérèse Lambert, Josette Charlevol, Maurice Durbesson, Ingeborg Vincent, Marie-Antoinette Moyon, Jacqueline Broussier, Jean Vidal, Rose-Mari Moderni, Huguette Faure, Michel Hammadache.
Platine et vinyles réalisés à partir des enregistrements sonores de pièces de théâtre contemporain. Écoute individuelle au casque, ou collective avec les enceintes. Textes originaux imprimés en livret ou édités. Lecture sur place.
Écouter une piste, repartir à d’autres occupations. Revenir à l’intrigue. Écouter collectivement, écouter seul·e, écouter tout d’une traite. Le matin, le soir, avant la sieste. Une invitation au rêve pour bâtir de nouvelles versions des spectacles qui n’appartiendront qu’à leurs auditeur·ices.
Résident à la Maison Paisible, Pierre Perrin est cordonnier et maroquinier de formation. Sa boutique était située rue de la Carreterie. Ces œuvres, fruits d’un labeur patient et minutieux, témoignent d’un savoir-faire d’une extrême précision. « C’est un travail au millimètre. » comme Pierre Perrin aime à le rappeler en parlant des patrons qui ont demandé deux ans et demi de travail.
Papier peint à partir de dessins à l’encre sur papier numérisés puis imprimés digitalement Éléments ornementaux créés avec Mireille et Mireille, Michel, Aline, Véronique, Renée ainsi qu’une classe de lycéen·nes en formation pour devenir animateur·trices, sous le regard avisé de Violette et Marie-Thérèse. Ce projet est né d’un atelier de dessin de motifs floraux, propices à l’évocation des souvenirs et d’une envie restée silencieuse ; celle de partagé ce type de moment avec son arrière-grand-mère, disparue il y a quelques années des suites de la maladie d’Alzheimer. Ce papier peint est aussi un hommage discret à l’aide-soignante qui, chaque jour, compose avec soin de petits bouquets pour égayer les tables du réfectoire.
Rideau (tissu : doublure – satin polyester) et gants (cousus dans le même tissu que le rideau. L’un cousu avec l’endroit du tissu, l’autre avec l’envers du tissu), porte-serviette (cuivre).
« André je l’ai rencontré au bar. Il ne savait pas danser, je ne risquais pas de le rencontrer au bal. Mais moi j’adorais danser. » —Roseline
Dans la salle polyvalente transformée en salle de bal des années 1950, un grand rideau descend du plafond jusqu’au sol. Seul un coin est relevé, dévoilant un mur derrière lui. À proximité, une paire de gants suspendue attire l’attention – confectionnés dans le même tissu que le rideau, l’un montre l’endroit, l’autre l’envers. Comme une scène en attente ou un geste suspendu, l’installation évoque un désir quasi-métaphysique : celui de découvrir ce qui se cache de l’autre côté.
Il s’agit d’un drapeau, fin et léger, entièrement bleu. Un rectangle de bleu apposé sur le ciel. Le titre, Certitude no21 (bleu ciel), fait référence à l’invention de Horace-Bénédict de Saussure, qui en 1789 conçoit le cyanomètre, un instrument destiné à mesurer l’intensité de la couleur du ciel. Le chiffre 21 du titre renvoie à l’une des 53 nuances qui composent le cyanomètre, et qui a été choisie pour la couleur du drapeau.
Certitude no 21 évoque une probabilité, fortuite et aléatoire, qui parfois peut advenir : celle que le bleu du drapeau et celui du ciel se confondent donnant alors, en ce lieu, et à cet instant précis, au moins une certitude : celle de l’intensité du bleu du ciel.
Dans ce lieu qui est un Ehpad et où rien n’est tout à fait certain, Certitude no 21 s’érige comme une présence stable – infime, peut-être dérisoire, mais réelle. Elle témoigne de la fugacité des instants mais aussi du caractère pérenne de certaines choses, comme la couleur du ciel, au-delà de l’incertitude intrinsèque de nos vies.
Pavillon en devenir, Le Buisson est conçu pour accueillir les élèves de l’École des Beaux-Arts d’Avignon, voisine de l’Ehpad. Implanté dans l’écrin de la nouvelle roseraie, ce pavillon ouvert s’affiche comme une salle de pratique visible des habitant·es. Grâce à la terrasse aménagée à l’avant, cet atelier prend des allures de scène ouverte espérant ainsi susciter des vocations chez les résident·es.
Un espace dédié à la radio Présent Continu, entièrement imaginée, conçue et animée avec les enfants de la micro-école présente au sein de la Collection Lambert. On y vient régulièrement pour parler librement de philosophie – autour de l’amour, du temps, et de ce qui les traverse – avec les habitant·es de la Maison Paisible.
Avec la collaboration de Tiphaine Colleter
Les rencontres quotidiennes avec les résident·es de l’Ehpad de la Maison Paisible portent la charge de vies entières, une richesse infinie de récits parfois élimés par le temps, qui ont la beauté de leur incomplétude. Le Centre d’art de la Maison Paisible a pour vocation de susciter ces rencontres régulières avec l’équipe de la Collection Lambert, les artistes, et les enfants de la micro-école de la Collection Lambert, afin de mettre en mouvement sensible les relations entre les résident·es, les familles et les soignant·es.
Des commandes artistiques fréquentes dans les espaces du bâtiment, des interventions chorégraphiques, des liens avec l’école des beaux-arts toute proche, une identité graphique, une signalétique et un site Internet adaptés à ce centre d’art insolite : toutes ces propositions ambitionnent de faire de la vie, à ce moment de fragilité, l’objet d’une attention singulière et d’une inspiration créatrice, dans la permanence et la continuité.
Une roseraie conçue par Mimosa Echard, un loto des odeurs – traduction olfactive des récits des résident·es par le parfumeur Daniel Pescio et l’artiste Juliette George –, un jingle vidéo tel un mandala de bigoudis pour le salon de coiffure, réalisé par Bertille Bak avec les habitué·es, l’habillage du fronton par des paroles incitant aux fredonnements des chansons d’amour préférées des résident·es, proposé par Théo Mercier, ou encore un bal magnétique imaginé par Massimo Fusco : ce ne sont là que quelques-unes des réalisations qui inaugurent ce projet ambitieux, par lequel la Collection Lambert ouvre un nouveau champ à son action publique.
— François Quintin, directeur de la Collection Lambert
J’avais jamais peint. Jamais. Et puis un jour, ici, c’est venu comme ça. Chez moi, j’aurais pas pu. Et là, ça m’a pris. On a commencé avec des petits trucs. Le peintre, un grand costaud, m’a dit : « Vous allez peindre là, dans la salle. » Je lui ai dit : « Moi ? Jamais j’y arriverai. » Et puis finalement, si. Lui faisait en haut, moi en bas. J’en revenais pas.
Il m’a dit : « Mettez plus de couleurs. » Alors je l’ai écouté et j’ai mis plus de couleurs. J’ai même une photo dans ma chambre. C’est moi et lui devant le tableau. Vous voulez la voir ? Y’a aussi les cartes postales que les enfants de la micro-école ont faites et qu’ils nous ont offertes.
Depuis, je dessine souvent. Des fleurs, des choses. Je regarde même Arte maintenant, ça me donne des idées. C’est fou, hein ? Je dessine pas merveilleusement bien, m’enfin je vais essayer de m’améliorer. Des fois je me dis que je vais pas y arriver, et puis si. Faut essayer. Faut attendre et ça vient.
Un jour, on est même allé au musée, à Avignon. À la Collection Lambert. C’était la première fois pour moi. Je veux dire dans un musée. Dans une salle, y avait un grand drap suspendu qui bougeait avec l’air, comme des nuages. Avant, j’aurais dit : « C’est rien du tout, ça. » Et là, j’ai trouvé ça… Ça m’a fait quelque chose.
Avant, j’étais dans les champs, avec mes parents, puis je me suis mariée et ensuite les enfants… jamais pensé à l’art. Et là, ça me fait du bien. Ça m’apaise. Depuis que mon mari est parti, j’avais besoin de ça. Un peu pour oublier. Un peu pour vivre autrement sinon c’est languissant. Ma fille n’en revient pas elle me dit : « On dirait une jeune ! »
— Mireille Ferrier, habitante, 86 ans